6/28/2010

Bordeaux-Paris 2010 (26/06 et 27/06/2010)

L’idée que je me faisais d’un Bordeaux Paris était initialement celle d’une course pour cyclistes un peu fous capables de passer des heures sur une selle pour parcourir 620 km de plat ! A priori, jamais je ne me serais engagé sur un challenge de ce type, préférant à la base des distances plus courtes et plus pentues ! Et puis Eric m’a proposé l’aventure dans sa version 35h (maximum du temps autorisé pour parcourir la distance). Il vint alors le moment de la réflexion, et c’est finalement un peu septique et avec un peu d’appréhension que je vais finalement m’inscrire, la principale raison étant alors le fait que Bordeaux-Paris, c’est une partie de l’histoire des débuts du cyclisme, une course mythique que je veux au moins essayer de faire une fois dans ma vie.
Merci donc a Eric, toi qui n’a pas pu participer, de m’avoir entrainé dans ce challenge et je te souhaite de retrouver la forme le plus rapidement possible.
La semaine avant le départ suscite en moi des interrogations, « un stress positif » du fait du manque d’expérience sur ce type de challenge : je serais seul, la plus longue sortie cette année n’excède pas 225km (2*225 sur 2j pour Lyon Mont Blanc), la nuit à gérer (dormir ou ne pas dormir et la question de l’éclairage), les affaires à emporter (tenue de rechange, nourriture,…). Apres réflexion, mon objectif est finalement de parcourir les 407 1er km jusqu'à Romorantin le samedi et de décider ensuite entre finir les 213km restants pendant la nuit ou le lendemain… Le départ a lieu à 6h ce samedi matin. J’aimerais trouver un groupe roulant a mon allure afin que les kilomètres ne passent pas trop lentement, ce qui me permettrait également d’en « garder sous la pédale ». Je me suis d’ailleurs fixé comme objectif de ne jamais dépasser les 160 pulsations sur le cardio, et si possible d’avoir un bon 30km/h de moyenne, au moins au début !
Il est 5h15 quand j’arrive pour retirer ma plaque de cadre, déposer mon sac, et prendre mon petit déjeuner : 1ere agréable surprise, je croise Raymond (je l’appelle ainsi car je ne connais pas son vrai prénom), ancien coureur de 71 ans que j’ai rencontré cette année sur Lyon-Mont Blanc ! Nous avions parcouru à ce moment la 150km en se relayant, le genre de collaboration qui tisse des liens !  Nous rejoignons le départ, et nous sommes alors surpris : celui-ci se fait au fil de l’eau afin d’éviter les cohues des années précédentes. Nous partons donc avec 15min d’avance (5h45) et je quitte Raymond qui attend ses copains.
Je me lance donc dans cette aventure, avant le lever du jour…Qu’il est drôle de voir ce long ruban de lumières rouges clignotantes sur la route! C’est presque irréel, on se croirait dans un autre monde. Pour l’occasion, j’ai équipé le vélo de 3 lampes pour éclairer la route qui défile, 1 lampe à l’arrière et une sur chacune de mes chevilles -24 piles au total, pas très écologique-. J’ai également monté une sacoche sur le guidon, afin d’emmener le ravitaillement nécessaire, mais aussi une tenue de rechange et quelques outils,… Tout en maitrisant mon rythme, je reprends beaucoup de concurrents, en groupe ou isolés, pendant les 30 1ers km. Le chant des coqs se fait entendre, le jour se lève et les 1eres gouttes de sueur font leur apparition. Les 60 1ers kms ne sont pas difficiles, le parcours est plutôt plat, la route agréable, et le soleil est présent. Je suis souvent doublé par des voitures d’assistance des autres concurrents et je bénéficie du coup d’encouragements bien sympathiques dans les différents villages ou celles-ci s’arrêtent pour ravitailler leurs cyclistes. Les choses changent un peu ensuite : le parcours devient un peu moins roulant, et 20km avant le 1er point de contrôle, la route devient granuleuse, l’impression de ne pas avancer est déplaisante.
Ce 1er point de contrôle est situé au km133, et comme son nom l’indique, il ne s’agit pas d’un ravitaillement : on tamponne la carte et on repart ! Je m’arrête donc dans la pizzeria du village pour boire un café et faire le plein des bidons. Je regarde mon compteur : 32km/h de moyenne. Au moment de repartir, Raymond arrive seul –il est très fort Raymond- et me dit de ne pas l’attendre : je ne le reverrai pas. Je repars donc pour 90km jusqu'au point de contrôle N2 a L’Isle sur Jourdain dans la Vienne. Le parcours devient vallonné, cassant, il commence à faire chaud et je respecte toujours ma limite en terme de pulsations, je vais du coup beaucoup moins vite. Les voitures d’assistance se font elles aussi de plus en plus rares, je me dis alors que le parcours et la chaleur vont faire des dégâts. Je sympathise avec le chauffeur de l’une d’entre elle qui me ravitaillera en eau : ne connaissant pas son prénom, je l’appelle Roger pour le compte rendu, il vient du Var et a parcouru plusieurs Paris-Brest-Paris et Bordeaux-Paris !
C’est sans problème que j’arrive au point de contrôle : toujours pas de ravitaillement, je me pose donc dans le café du village pour prendre un soda, et remplir les bidons. J’en profite pour répondre à Eric qui m’a envoyé un sms entre temps : merci pour tes encouragements car j’étais bien seul. Je venais de parcourir 230km à 30km/h de moyenne, seul, mais la concentration sur l’objectif, la présence des supporters et des voitures d’assistance rendent le challenge agréable! Sans parler du parcours, car à ce moment la, c’est une des mes idées reçues qui s’est envolée : Bordeaux-Paris n’est pas plat et n’est absolument pas ennuyeux puisque je totalise déjà 2000m de dénivelé (3865m en tout), et le parcours emprunte des départementales avec de jolis paysages et nous traversons des villages bien charmants ! Je repars du contrôle en direction du point de contrôle N3 à Martizay dans l’Indre, 90km plus loin. Le parcours redevient plat, et je me dis qu’enfin, je vais pouvoir «dérouler » : hélas, c’est sans compter sur la chaleur et le vent souvent de face qui a fait son apparition sur cette partie du parcours. Je vois ma vitesse diminuer, et un sentiment d’usure m’envahit au fur et à mesure que je parcoure les km, seul, dans le vent, sous le soleil…Inlassablement, toujours concentré et motivé par l’objectif, je pédale. J’arriverai à la moitié du parcours lorsque je serais au prochain contrôle, alors, je pédale… Mais que font les autres, les coéquipiers éventuels qui aurait pu me relayer ? Pourquoi ne m’ont-ils pas rattrapé, ai-je roulé trop vite au début ? Il fait chaud, je n’ai plus d’eau dans mes bidons et Roger ne m’a pas doublé depuis un bon bout de temps, que se passe-t-il ? La gorge sèche, ne pouvant plus rien avaler et ayant soif, j’arrive à Angles sur L’Anglin, un des plus beaux villages de France, peut-être à 15km avant le contrôle. Je m’arrête dans un café, prend de nouveau un soda, remplit mes bidons et je repars…Ouf, j’ai évité la catastrophe ! J’arrive au contrôle, Roger me double un km avant celui-ci d’ailleurs, et je me dis que les choses sont quand même bien engagées, j ai parcouru la moitié du parcours sans ennui majeur et j’ai passé l’après midi, la chaleur et le vent, difficilement, il est vrai.
Et quelle bonne surprise, le contrôle de Martizay est aussi un ravitaillement ! Je prends donc un coca, avale 2 compotes, me repose un peu, regarde d’un air envieux un coureur arrivé entre temps qui se fait masser par sa femme (dont c’est le métier), discute avec Roger qui me remplit gentiment mes bidons d’eau fraiche et je repars, pour 70km cette fois-ci jusqu'à Noyers sur Cher dans le Loir et Cher. Je suis donc plutôt satisfait jusqu'à présent, je repars du C3, milieu du parcours, à 17h30 avec une moyenne de 29km/h et je me sens bien, un peu usé par le vent que j’ai du affronté lors des précédents km. Il fait moins chaud et le soleil perd de son intensité. Le vent se calme. Je reprends donc la route sur de bonnes bases autour de 30km/h et je roule ainsi pendant une heure.
Et la patrata : j’ai d’un seul coup mal au ventre et plus aucunes forces ! Je m’allonge à l’ombre dans l’herbe sur le bord de la route en me disant que je vais me reposer un peu, mon casque me servant d’oreiller ! J’ai très chaud, mon corps transpire de partout sans rien faire ! Cela me rappelle ma 1ere marmotte dans la montée de l’Alpe d’Huez à 6km de l’arrivée, j’avais du m’arrêter un long moment… Je ne pense plus à rien, l’air généré par les voitures et les camions qui passent le long de la route et qui me balaie est la seule chose qui me soulage ! Et toujours aucun cycliste : me suis-je trompé d’épreuve ? Il devrait y avoir entre 1500 et 2000 concurrents sur ces routes et cela fait 340km/12h30 que je roule tout seul ! Après 15min, je décide de reprendre la route…pour 400m…je m’allonge de nouveau, cette fois-ci dans un chemin à l’abri des voitures ! Je perçois un groupe de 5 cyclistes suivi de leur camionnette d’assistance, puis Roger qui passe également suivi de peu par ses 2 compères à vélo. Peut-être 15 min après, je décide de retenter l’aventure, cette fois-ci, c’est la bonne ! Je repars tout doucement…mais peut-être 2km plus loin, à la faveur d’une montée assez longue et raide, ca ne va de nouveau pas : « alors champion, tu as un coup de moins bien ? » me jette Roger, en haut de la bosse qui s’était arrêté pour ses compères. Il ouvre le grand coffre arrière de sa camionnette (prévue pour que 2 ou 3 vélos soient logés et 2 ou 3 cyclistes puissent dormir !), ce qui fait de l’ombre et m’allonge dessous. Il me remplit les bidons, me coupe une orange en quatre, me donne une pêche et me raconte les moments les plus délirants de ces aventures cyclistes : il est notamment tombé sur le dernier Paris Brest Paris car il s’était endormi sur le vélo, depuis il s’est mis à la marche a pied et assiste ses copains dans ce genre d’épreuve. Après 15minutes, « il faut y aller champion! » me lance-t-il. Je l’écoute et je repars doucement, il me double en me klaxonnant. A ce moment la, je pense que Bordeaux Paris, c’est terminé, il reste encore 250km à parcourir et je n’avance pas très vite, avec le ventre en vrac ! Je vais chercher un hôtel dans le prochain village, voire prendre un train, peut-être profiter de la belle journée annoncée du dimanche pour m’étendre sur une plage ? Je réfléchis à mes erreurs possibles : j’aurais peut-être du faire un 300km ou un 400km pour être habitué aux longues distances, et je me dis que le faire dans ces conditions la, tout seul avec la chaleur et sans voiture d’assistance, c’est être un peu dingue, un peu dans l’état d’esprit des « forcenés de la route », ceux d’il y a 100 ans, mais est ce qu’ils se plaignaient finalement ? Je me demande aussi toujours pourquoi il y a aussi peu de cyclistes, je m’en veux de ne pas avoir mis la soupe de poulet que j’avais emmené dans le bidon au précédent ravitaillement (j’avais hésité, car je commençais à en avoir marre des boissons et barres sucrées). Mais bon, il ne me reste plus que 6km pour arriver au prochain village – Nouans dans l’Indre et Loire- ou tout cela va s’arrêter ! Je regarde les km défiler lentement, 2 coureurs me doublent à une vitesse dingue (il faut dire que je n’ai plus trop la notion de vitesse) que j’en ai même l’impression de me faire narguer...5…4…3km… ca va un peu mieux, je ne vais finalement que prendre un coca et essayer de rejoindre le prochain point de contrôle et décider de la suite à donner à l’aventure…2…1km..je suis à Nouans, je cherche un café…il n’y en a pas !!! Pas de coca !!! Incroyable !!! Je dois poursuivre mon chemin !!! Et heureusement d’ailleurs car au fil des km, ca va mieux… il ne fait d’ailleurs plus du tout chaud et je parcours assez facilement les 17km à une allure plus que correcte. Je reprends d’ailleurs les 2 cyclistes précédents à l’arrêt, qui me jettent un regard interrogateur et qui me redoubleront…en voiture !
Je rejoins donc le point de contrôle (au pied d’un restaurant) à Noyers sur Cher, en me disant que je vais me faire un vrai repas : merguez, riz, bière et coca, que ca fait du bien !!! Roger est la également. Enfin quelques groupes de cyclistes pointent leur nez (notamment un groupe d’Espagnol), souvent des équipes avec leurs camionnettes, la plupart ne s’arrêtant pas pour diner ! J’envoie un sms à Eric et je repars vers 20h45 : cette portion de 70km, m’aura donc pris 3h15 avec les arrêts et le repas, ma moyenne roulée est descendue a 28km/h…et je repars avec de la soupe dans mon bidon. Il me faut donc maintenant parcourir 35km jusqu'à Romorantin, endroit du prochain contrôle et ravitaillement (j’ai vérifié avant de partir !). Rien de particulier, j’ai retrouvé une allure normale, j’ai allumé une lampe à l’avant, une à l’arrière car la nuit commence à tomber. J’ai encore faim et mon bidon de soupe sera avalé très rapidement, avant l’arrivée !
Roger est au ravitaillement (les rôles se sont inversés, c’est moi qui le rattrape maintenant). Je fais une longue pause, me lave et change de tenue pour la nuit (non, ce n’est pas un pyjama !), avale plusieurs soupes, plusieurs oranges et plusieurs sandwichs, je crois que je n’ai jamais autant mangé depuis que je fais du vélo! Je suis plutôt inquiet pour la portion suivante : 140km de nuit sans aucun ravitaillement, sans aucune assistance ni coéquipier, il va donc falloir gérer les bidons car il sera surement difficile de trouver un café ouvert, sans parler du sommeil. Je prépare le vélo : toutes les lampes sont allumées et je réorganise ma sacoche afin d’y loger des sandwichs…Le groupe d’Espagnol qui est également présent bénéficie de mécaniciens qui installent leurs lampes ! Je m’élance donc dans la nuit vers 11h. Les 1eres sensations sont plutôt agréables. La température est idéale, mon éclairage fonctionne bien. La pleine lune éclaire les étangs de Brenne légèrement embrumés, quelques animaux se font entendre dans les buissons, les oiseaux également et le croassement des grenouilles est un opéra à lui tout seul. C’est absolument magique, et je pédale, encore et encore, inlassablement et en moulinant car j’ai passé à ce moment la le petit plateau et bien que je pourrais rouler plus vite, je préfère prendre mon temps et assurer l’objectif. Je me régale avec la soupe et je n’ai absolument pas sommeil. Je rattrape le groupe d’Espagnol, on se chambre un peu –allez, allez ! – puis continue mon chemin. En traversant quelques villages, des enfants attendent les cyclistes avec des casseroles, je ne risque pas de m’endormir. J’avale de temps un temps un sandwich…tout se passe bien jusqu'à 20km du ravitaillement, panne sèche : plus d’eau et de soupe dans les bidons, j’ai pourtant essayé de gérer. Alors ces 20km, je les ai fait au moral, la gorge desséchée, en allumant tous les 500m mon compteur pour voir la distance restante. Le parcours est ennuyeux, de longues lignes droites de plaine, car la Sologne est derrière moi maintenant.
Enfin, j’arrive au contrôle, dans un café, et je suis déçu car il n’y a rien à manger et à boire. Je commande donc un jus d’orange, un coca, je remplis mes bidons d’eau et ma sacoche de croissant ! Et je repars pour les 70derniers km. Le jour se lève encore, je pédale encore après 24h ! Je continue, et après une dizaine de kilomètres, c’est la route qui guide mon vélo dans une descente ! A 3 reprises, je me surprends à ouvrir les yeux au dernier moment ! Je décide de m’arrêter, je reçois un sms de Just qui part a la montagne de Reims et qui me demande ou j’en suis : il est 5h21, il me reste 60km à parcourir et je vais me reposer ! « Ca va ? » me demande une femme au travers de la vitre d’une voiture d’assistance qui me sort de ma somnolence peut-être 15minutes plus tard. « Oui, je m’endormais sur le vélo, alors je me suis arrêté ». Et je repars avec le coureur qu’elle suit. Il est cuit mais je continue avec lui, histoire de discuter un peu…Nous voyons alors passer la voiture des cyclosportifs partis 8h plus tard, dans son sillage un extraterrestre surement car on ne le voit pas, on se doute qu’il s’agit d’un vélo couché recouvert d’une coque en carbone, et il est suivi par son camion de dépannage ! Il mettra 17h30…Nous sommes repris par un groupe de 4 Bretons suivis de 2 camions d’assistance. Je décide de continuer avec eux, je ferais ainsi les 60 derniers km dans un groupe ! Alors que nous retrouvons nos routes de Chevreuse bien connues, ils sont ravitaillés en roulant ! Je sors alors mes morceaux de croissant de la sacoche pour partager le repas avec eux et je trouve la situation assez drôle…Jamais un croissant n’avait eu autant de saveur dans ma bouche…Un des leurs abandonne si prés du but en montant dans le camion, c’est le moral qui a lâché, pas le physique.
Nous franchissons la ligne d’arrivée a 7h55. Je suis bien content de m’arrêter la, de prendre une douche et de recevoir mon trophée bien mérité et avec émotion ! Je retrouve Roger qui s’en va, nous nous saluons et je le remercie grandement. Ses copains sont arrivés une heure avant.
J’aurai ainsi parcouru 625km en 25h55 a une moyenne de 24km/h, une moyenne roulée de 27.5km/h, soit environ 3h20 minutes d’arrêts.





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